Un peu en retard, je presse le pas pour atteindre le secrétariat. Mon impatience ne fait que croître lorsque j’aperçois la file d’attente pour enregistrer mon arrivée. Je consulte ma montre, nerveusement. Une petite dame brune, âgée peut-être 80 ans, s’approche doucement, en clopinant, une canne à la main. Son pantalon fluide laisse deviner une jambe articulée. Tout naturellement, je lui propose de passer devant moi. « Oh non, madame, vous avez l’air pressée. Moi, j’ai tout mon temps. », répond-elle. Un sourire doux, sincère et contagieux éclaire son visage. « Je suis curieuse, excusez-moi, pourrais-je voir ce que vous lisez ? », dit-elle en apercevant le roman que je tiens sous le bras. Je suis cueillie par la douceur de cette femme… Je prends le temps de lui répondre et lui tends mon ouvrage en l’invitant à lire la 4ᵉ de couverture. « Ça a l’air bien… », déclare-t-elle, le visage toujours rayonnant.
Dans la salle d’attente, il ne reste que trois chaises libres. Je m’y installe dans l’idée de me plonger dans la lecture de mon ouvrage en attendant mon tour. C’est sans compter sur l’atmosphère que je découvre. Face à moi, un vieux monsieur qui a connu la Seconde Guerre raconte des souvenirs poignants. Sa mémoire est encore vivace, ses propos passionnants. Sa voisine, légèrement plus jeune, semble-t-il, l’écoute et lui répond en évoquant sa propre expérience « d’enfant de la Seconde Guerre ». Ils sont venus ensemble au rendez-vous, pensé-je. Soudain, une porte s’ouvre. L’assistante du spécialiste appelle le patient suivant. Aussitôt, la personne se lève, la porte se referme sur elle. Un couple déclare : « Elle est tout à fait charmante cette assistante. » Deux autres acquiescent, avec enthousiasme. La petite dame brune, qui me suivait, vient s’assoir à côté de moi.
Il règne dans cette salle d’attente une atmosphère chaleureuse et propice aux échanges, l’une de celle qu’on a connue, mais que l’on retrouve peu de nos jours. Aucun écran, un livre dans les mains d’une patiente... Au fond des yeux de ma voisine, une envie de saisir la chance — peut-être l’unique occasion de sa journée — de bavarder un moment. Enfin, la spécialiste appelle ce monsieur âgé qui conte la guerre. Nous le voyons se lever et prononcer ce « Oui, c’est bien moi ! Bonjour Docteur… » plein de politesse, puis, de nous saluer avec la classe d’un homme de son époque. Je découvre donc qu’il est venu seul. Sa voisine était une parfaite inconnue avec qui il a eu simplement plaisir à échanger en attendant son tour…
De mon côté, je fouille dans mon sac à main, à la recherche d’un morceau de papier sur lequel écrire les références de mon ouvrage pour la petite dame brune, puis le lui tends. « Oh, merci, comme c’est gentil ! » s’enquiert-elle, comme si je venais de lui livrer un somptueux bouquet de fleurs. Des échanges entre les uns, des livres dans les mains des autres, des sourires, de la gentillesse… un extrait de vie et de partage. Non, je ne rêve pas… Si j’en crois la douleur de mes yeux, objet de ma venue chez ce spécialiste, je suis bien réveillée. Réalité d’un jour, ce vécu sonne comme le souvenir de la vie d’une salle d’attente de mon enfance. Petite madeleine, en ce matin d’avril 2024…
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